samedi 6 juillet 2024

L'imposture dangereuse du populisme nationaliste


Dans un contexte de crise sociale et de défiance envers les institutions, le Rassemblement National se présente comme le défenseur du "peuple" contre les "élites". Mais derrière cette image soigneusement construite se cache une une escroquerie intellectuelle flagrante et une réalité bien plus sombre : celle d'un parti héritier d'une idéologie profondément anti-républicaine, qui instrumentalise les peurs et le ressentiment pour promouvoir un programme trompeur, inapplicable et injuste,  aux conséquences qui ne manqueront pas d'être désastreuses.

Les racines troubles d'un parti qui n'a pas rompu avec son passé

Rappelons d'abord les origines du Front National, ancêtre du RN. Fondé en 1972, il rassemble alors d'anciens collaborateurs, des nostalgiques de l'Algérie française et des néofascistes. Jean-Marie Le Pen, son fondateur, s'est illustré par ses multiples provocations antisémites, dont la tristement célèbre qualification des chambres à gaz de "détail de l'histoire". 

Si Marine Le Pen a tenté de donner une image plus lisse au parti, les liens avec l'extrême-droite la plus radicale persistent. En témoignent les révélations sur l'infiltration de néonazis dans les rangs du parti, comme l'affaire Chatillon en 2019. Les dérapages réguliers de certains cadres, comme les propos islamophobes de Robert Ménard ou l'éloge de Pétain par Louis Alliot, montrent que le fond idéologique n'a pas fondamentalement changé.

Une vision anti-républicaine de la société française

Malgré les efforts pour polir leur image, les valeurs fondamentales du RN demeurent foncièrement anti-républicaines. L'égalité, la fraternité et la liberté, piliers de la République, sont constamment sapées par un discours qui oppose les Français entre eux, stigmatise les minorités et rejette l'altérité. Le RN prône une exclusion sociale sous couvert de protection nationale, une homogénéité forcée contraire à la diversité et à l'inclusivité qui font la richesse de la France. Le rejet des immigrés, la suspicion envers les musulmans, et la promotion d'un nationalisme étriqué ne sont que des facettes d'une idéologie qui cherche à diviser plutôt qu'à unir.

Election après élection, le programme du RN reste fondé sur des valeurs profondément opposées aux principes républicains :

  • La remise en cause de l'égalité : la "préférence nationale" prônée par le RN est une forme de discrimination institutionnalisée, contraire au principe d'égalité inscrit dans la Constitution.
  • Une conception ethnique de la nation : le RN défend une vision de l'identité française fondée sur des critères ethniques et culturels, en opposition au modèle républicain d'intégration.
  • L'affaiblissement de l'État de droit : les propositions du RN visent à réduire l'indépendance de la justice (comme la suppression de l'École Nationale de la Magistrature) et à limiter le rôle des contre-pouvoirs.
  • Une dérive autoritaire : le parti prône un renforcement du pouvoir exécutif au détriment du Parlement et des corps intermédiaires.

Un programme économique et social trompeur

Le RN se présente comme le défenseur des classes populaires, mais son programme réel va à l'encontre de leurs intérêts :

  • Politique sociale : le parti a systématiquement voté contre les augmentations du SMIC, contre l'extension du congé paternité, ou encore contre la loi sur l'égalité professionnelle.
  • Droits des travailleurs : le RN s'est opposé à la loi renforçant les droits des salariés licenciés et a voté pour la loi El Khomri qui flexibilisait le droit du travail.
  • Droits des femmes : malgré un discours d'égalité, le RN a voté contre la loi sur la parité en politique et s'est abstenu sur la loi contre les violences conjugales.
  • Fiscalité : le programme économique du RN, basé sur un euroscepticisme et un protectionnisme strict qui valent Frexit de fait, est jugé irréaliste par la plupart des économistes et risquerait d'aggraver la situation des plus modestes.

Les leçons des expériences populistes à l'étranger

Les exemples récents de gouvernements populistes montrent les dangers réels de ces mouvements une fois au pouvoir :

  • Hongrie : Viktor Orban a progressivement mis au pas les médias, la justice et l'opposition, instaurant ce qu'il appelle lui-même une "démocratie illibérale".
  • Brésil : sous Jair Bolsonaro, on a assisté à une explosion de la déforestation en Amazonie et à une gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19.
  • États-Unis : la présidence Trump s'est caractérisée par une polarisation extrême de la société, une remise en cause des institutions démocratiques, des largesses fiscales pour les plus riches et les plus grandes entreprises, financées par la dette,  et une politique migratoire inhumaine.
  • Italie : le bref gouvernement de la Ligue du Nord a montré l'incapacité des populistes à tenir leurs promesses économiques irréalistes.

Il est crucial de comprendre que le RN, une fois au pouvoir, révélera sa véritable nature. Ce masque de respectabilité tombera, et les conséquences pour la République et pour la cohésion sociale seront désastreuses.

Il exploite habilement les frustrations et les peurs légitimes d'une partie de la population. 

Ses "solutions", loin d'améliorer la situation, ne feraient qu'aggraver les problèmes et mettraient en danger la République. Face aux défis de notre époque, ce n'est pas le repli nationaliste et l'autoritarisme qui sauveront le pays, mais bien le renforcement de ses valeurs républicaines et la réparation de  son modèle économique et social. 

Les racines du mal : l'échec et l'entêtement des élites traditionnelles à imposer des politiques qui n'assurent plus une prospérité partagée

Il serait malhonnête d'ignorer le terreau fertile sur lequel prospère le populisme du RN. La montée de ce parti est aussi le symptôme d'un échec plus large du système politique. Depuis les années 1980, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, n'ont pas su tenir la promesse démocratique d'une prospérité partagée. Cette promesse reposait sur trois piliers : des emplois abondants, une stabilité économique élevée et des services publics de qualité. Or, la désindustrialisation, les crises économiques à répétition et le démantèlement progressif de l'État-providence ont profondément érodé ces acquis.

Les élites politiques et économiques portent une lourde responsabilité dans cette situation. Plus attachées à leurs données macro-économiques et à leurs analyses sophistiquées, elles n'ont pas su écouter ni protéger efficacement les "perdants" de la mondialisation et des mutations technologiques. Le creusement des inégalités, la précarisation de l'emploi et le sentiment d'abandon de territoires entiers ont nourri une colère légitime que le RN a su habilement exploiter.

Cette analyse ne justifie en rien les dérives populistes, mais elle souligne l'urgence d'une refondation d'un pacte démocratique rénové. Face au RN, la réponse ne peut se limiter à une simple dénonciation : elle doit inclure une autocritique des partis traditionnels et des propositions concrètes pour renouer avec la promesse d'une prospérité inclusive.

La spectaculaire victoire électorale récente du Parti Travailliste britannique, sur un programme qui rompt avec les dérives populistes des années Brexit des conservateurs comme des travaillistes de Corbyn, offre un exemple à méditer.


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Références : 

Origines et liens persistants avec l'extrême-droite

  • Igounet, V. (2014). "Le Front national de 1972 à nos jours : Le parti, les hommes, les idées". Seuil.
  • Albertini, D. et Doucet, D. (2013). "Histoire du Front national". Tallandier.
  • "Affaire Chatillon : au cœur du système de financement du FN". Le Monde, 11 octobre 2019.
  • "Louis Aliot évoque un Pétain 'protecteur des juifs' : l'Assemblée s'indigne". Le Figaro, 16 février 2022.

Valeurs anti-républicaines

  • Mayer, N. (2018). "Les électeurs du Front national (2012-2015)". Presses de Sciences Po.
  • Rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 2021.
  • "Le programme du Rassemblement National pour 2022". Site officiel du RN.
  • Lebourg, N. (2019). "Les droites extrêmes en Europe". Seuil.

Programme économique et social

  • Analyses des votes à l'Assemblée nationale, site nosdeputes.fr
  • "Marine Le Pen et l'économie : un programme flou et dangereux". Les Échos, 14 avril 2022.
  • Rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES), 2021.
  • "Le coût exorbitant d'une sortie de l'euro". Le Monde, 21 avril 2022.

Expériences populistes à l'étranger

  • Müller, J-W. (2016). "Qu'est-ce que le populisme ?". Folio.
  • "Hongrie : Viktor Orban, champion de l''illibéralisme' en Europe". France 24, 3 avril 2022.
  • "Brésil : le bilan désastreux de Jair Bolsonaro". Le Monde diplomatique, janvier 2023.
  • Levitsky, S. et Ziblatt, D. (2018). "La mort des démocraties". Calmann-Lévy.

Analyses politiques générales

  • Perrineau, P. (2017). "Cette France de gauche qui vote FN". Seuil.
  • Crépon, S., Dézé, A. et Mayer, N. (dir.) (2015). "Les faux-semblants du Front national". Presses de Sciences Po.Taguieff, P-A. (2015). "La revanche du nationalisme". PUF.
  • "Le populisme en Europe". Rapport de la Fondation Robert Schuman, 2019.
Sur la désillusion des perdants de la mondialisation
 
  • Piketty, T. (2019). "Capital et Idéologie". Seuil.
  • Guilluy, C. (2014). "La France périphérique". Flammarion.
  • Rosanvallon, P. (2020). "Le Siècle du populisme". Seuil.
  • OCDE (2019). "Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse". Éditions OCDE.
  • Rapport sur les inégalités en France, Observatoire des inégalités, 2021.