vendredi 23 décembre 2016

Chine, Russie, Iran, Inde : la fin de l’hégémonie Anglo-Américaine ?

Si les USA constituent depuis la seconde guerre mondiale une des plus formidables superpuissances de l'histoire de l'humanité, que dire de l'ensemble USA-Royaume-Uni, lié par leur "special relationship" née dans les affres de leur terrible guerre en tant qu'Alliés contre Hitler, nourrie et entretenue par leur histoire et langue communes, ainsi que leur croyance partagée dans les valeurs libérales puisées dans le protestantisme.

Cet ensemble Anglo-Américain (certains préfèrent parler d'"Empire Anglo-Saxon", terme à mon sens impropre), est sans aucun doute l'un des plus puissants que le monde aie connu depuis la chute de l'Empire Romain, à la différence fondamentale près que ce dernier a conquis militairement et administré directement l'immense superficie qui a constitué son corps.

La puissance déjà considérable de cet ensemble au lendemain de la seconde guerre mondiale, s'est trouvée décuplée à l'issue de l'autre grande confrontation du 20ème siècle, la guerre froide, avec le seul rival qui a su allier puissance militaire et influence idéologique, l'URSS.

Disproportionné en son sein, entre d'une part l'hyperpuissance américaine, et l'ex-empire britannique démantelé qui n'est plus que l'ombre historique de lui-même, l'ensemble a su néanmoins exploiter sa communauté de langue et de valeurs, pour imposer au reste du monde, après la chute du mur de Berlin, une domination fondée à la fois sur le "hard" et le "soft" power. Une domination fondée sur des principes définis en pleine seconde guerre mondiale, dans la Charte de l'Atlantique (1941) : la paix doit passer par la coopération économique, c'est-à-dire la baisse des barrières tarifaires, la promotion des libertés individuelles, et la sacro-sainte liberté d'entreprendre.

La puissance militaire et le prestige des vainqueurs (occultant d'ailleurs la décisive contribution Russe, qui a fourni 90% de l'effort humain de guerre) a été mis à profit pour instaurer une Pax Americana garantissant la sécurité des démocraties européennes, dans laquelle le Royaume-Uni joue le rôle de partenaire "junior" et le rôle de gardien est dévolu à l'OTAN. Mais la foi de l'ensemble Anglo-américain en son propre exceptionalisme a aussi légitimé l'imposition des principes démocratiques en Allemagne, en Italie et au Japon, puissances vaincues.

Mais la révolution conservatrice ultra-libérale menée par Reagan et Thatcher dans les années 1980 a tôt fait de démanteler le 3ème pilier de la Pax Americana : l'Etat-Providence, instauré par Roosevelt aux USA à travers le New Deal (qui visait à sortir de l'ornière de la Grande Dépression des années 1930), et au Royaume-Uni par le gouvernement travailliste sous le Premier Ministre Attlee (qui a créé le système de santé publique, et massivement investi dans l'habitat abordable).

La défaite de l'Empire Soviétique au lendemain de la guerre froide a, au yeux des conservateurs des deux côtés de l'Atlantique, signifié la victoire finale de l'exceptionalisme Anglo-américain, et fondé un "nouvel ordre mondial" fortement teinté d’interventionnisme militaire et d'ultra-libéralisme économique.

Ironie de l'histoire, ce sont les excès de l'interventionnisme militaire (fondé sur l'idée messianique d'être responsable de la propagation de l'idéal démocratique anglo-saxon, quitte à l'imposer par la force), et de dérégulation financière et d'ultra-libéralisme économique (fondé sur la croyance quasi-religieuse que rien ne doit entraver la libre initiative individuelle), qui ont induit en retour une vague de terrorisme islamiste ainsi que la plus grande crise bancaire et économique depuis les années 1930, et poussé les peuples britannique et américain à voter massivement en faveur d'un repli identitaire et nationaliste.

Au même moment, d'autres puissants ex-empires, qui ont connu de riches heures et marqué l'histoire de leur empreinte avant de sombrer en hibernation (certains intellectuels anglo-saxons les ont même enterrés un peu trop vite), reviennent très fort dans la course au Leadership mondial, avec l'appétit de celui qui a du subir un long jeûne et se retrouve devant un festin.

Tout d'abord la Chine, pesant près du quart de l'humanité, héritière d'une civilisation qui apparaît aujourd’hui, à l’instar de sa concurrente indienne, comme la plus ancienne du monde, avec ses trente-cinq siècles d’une histoire continue et l’existence, depuis plus de deux mille ans, d’un empire qui connut, certes, des crises ou des phases d’éclipse, mais qui s’imposa néanmoins comme le principal centre politique et le premier foyer culturel de tout l’Extrême-Orient.

Ensuite, la Russie, tenue pour quantité négligeable par l'occident après la chute du mur, qui s'est redonné avec Vladimir Poutine les moyens stratégiques de redevenir un acteur de premier plan sur la scène géopolitique mondiale. Malgré ses méthodes brutales, Poutine a su gagner le soutien massif et continu des russes en leur redonnant un sentiment de fierté et en restaurant l'ordre et un Etat fort.  La victoire -fortement symbolique- russe en Syrie a confirmé la naissance officielle du "monde multipolaire" que poutine a appelé de ses vœux dans son discours de Munich en 2007.

En troisième lieu l'Iran, héritier du puissant Empire Perse, et dont le territoire a donné naissance il y a 2500 ans au premier empire à vocation universelle. Depuis lors, les plateaux iraniens ont abrité des civilisations du plus extrême raffinement, qui n'ont rien à envier à l'Occident comme à l'Orient. Pays à la population jeune et éduquée, et disposant des deuxièmes réserves pétrolières au monde, il ambitionne aujourd'hui, après la levée des sanctions internationales, de rattraper son retard économique et de réaffirmer son importance géopolitique.

Et enfin l'Inde, très veille et très riche civilisation, pesant près de 20% de la population mondiale et authentique démocratie, en plein rattrapage économique et disposant de nombreux atouts pour devenir une des toutes premières puissances mondiales.

Mais n'enterrons pas trop vite l'hyperpuissance américaine, qui fait preuve d'une belle créativité pour maintenir son influence, en s'appuyant, comme l'a très bien analysé Dominique de Villepin (ex-ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac),  sur trois solides piliers : leadership dans le numérique (grâce notamment aux GAFA), suprématie du dollar et unilatéralisme judiciaire.

Loin de me réjouir de voir deux brillantes nations, qui ont fourni des bataillons de grands esprits et légué maints chef-d’œuvres à l'humanité, se lancer dans des aventures pour le moins déshonorantes et au pire potentiellement tragiques, j'y vois une leçon que leurs concurrents feraient bien de méditer : si "L'humilité sert à agir avec puissance"(Lao-Tseu), "l'arrogance précède la ruine, l'orgueil précède la chute" (Satrenkyi).

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