samedi 31 décembre 2016

San Francisco : quintessence du néolibéralisme ?

La métropole de San Francisco a à la fois la chance et le malheur de compter sur son territoire un formidable éco-système d'innovation envié et copié par ses rivaux partout à travers le monde, mais qui reste à ce jour inégalé.

Une chance, de part la puissance d'attraction qu'exerce cet éco-système sur les chercheurs, universitaires, entrepreneurs, ingénieurs, capital-risqueurs, juristes, et autres cols blancs ultra-chouchoutés . Une chance également que de compter sur son territoire les sièges des richissimes et très puissants GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, figurant toutes depuis plusieurs années dans le top 10 des plus importantes capitalisations boursières du S&P500) et plusieurs dizaines de "licornes" (Tesla, Twitter, Airbnb, SpaceX, Netflix, Salesforce, pour ne citer que les plus emblématiques) ayant chacune largement révolutionné son secteur d'activité et sans doute de très nombreux autres start-up en hyper croissance qui décrocheront à leur tour le Saint Graal économique.

Comme à chaque fois qu'un groupe d'entreprises a connu un grand succès économique, il a profité du prestige et l'admiration que cela suscite pour influencer voire imposer ses normes culturelles et ses techniques de management bien en dehors de sa sphère économique. Il n'y a qu'à visiter le rayon économie de n'importe quelle librairie pour découvrir la prolifique littérature "évangélique" expliquant à l'aspirant entrepreneur ou au simple curieux comment répliquer, grâce au "Design Thinking", au "Lean Startup" et autres "Best Practices Agile", la formidable réussite de ses champions, pour autant qu'il n'oublie pas de faire l'exégèse des tweets, faits et gestes des nouveaux papes "Silicon Valiens" : Steve Jobs, Larry Page, Elon Musk, Peter Thiel, Mark Zuckenberg..

La Silicon Valley n'a pas n'ont plus oublié de profiter de la technophilie d'Obama pour gagner une influence considérable sur la Maison Blanche et le Congrès durant ses deux mandats.

Seulement voilà, le formidable afflux de richesse vers les entreprises de la Silicon Valley et leurs salariés-actionnaires est loin de bénéficier à tous, à commencer par les habitants de San Francisco qui n'ont pas la chance de détenir les compétences convoitées par le secteur High-Tech, mais qui au contraire ont vu leur ville devenir en quelques années plus chère que New York. Les loyers ont par exemple connu une hausse de 30% pour la seule année 2011-2012 (la médiane se situait à 3400$/mois en 2014. S'il ne s'agissait que d'un contre-choc de pouvoir d'achat, passe encore, mais les conséquences de la gentrification flash de la métropole sont autrement plus dramatiques : San Francisco compterait selon les estimations 6 fois plus de SDF de Bangkok, qui pourtant 10 plus peuplée! Les statistiques de l'administration de l'Etat de Californie sont implacables : le revenu moyen des 1% d'habitants de San Francisco les plus riches frôle les 3,6M$ soit 44 fois le revenu moyen (88k$) des 99% autres, et le revenu moyen de ces mêmes 1% représente désormais près de 31% du revenu global, alors qu'il n'était que de 15% en 1989.

L'essor économique de la ville a eu pour conséquence implacable d'exclure la vaste majorité de ses habitants du marché de l'immobilier, renforçant l'avantage des propriétaires qui ont vu flamber leur patrimoine avec le prix de leurs biens, accentuant ainsi les inégalités.

Au point que le mécontentement des exclus a pris des allures de révolte lorsque des protestataires ont mené une véritable guérilla urbaine contre les bus Google (cible particulièrement symbolique) transportant les salariés vers leurs bureaux.

Autre facette des inégalités produites par la Silicon Valley, au sein même de l'élite qu'elle recrute et dont elle a fait la fortune, elle fait grincer des dents à cause de son manque persistant de diversité sociale, ou quand des cadres recevant des salaires à six chiffres peinent à joindre les deux bouts.

La révolution numérique, synonyme au départ de progrès grâce à sa formidable force d'entraînement de l'innovation, ressemble fortement, au sein de son territoire de prédilection, à une source de régression sociale, en fabriquant à grande échelle et en peu de temps de fortes inégalités. Et le problème n'est pas confiné à la Silicon Valley : même la très libérale Banque Mondiale s'est fendue d'un rapport en janvier 2016 dénonçant l'inégale répartition des "dividendes" de la révolution numérique.


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