Que penser de l'état de l'école en France à la lumière des enquêtes internationales?
Comme à chaque publication de résultats d'une enquête internationale significative sur les performances scolaires des élèves français relativement à ceux de pays comparables, une vague médiatique envahit le pays, qui dure rarement plus de 3 jours.
Les dernières enquêtes en date, PISA (réalisée par l'OCDE) et TIMSS, montrent, deux tendances inquiétantes : la chute des performances des élèves français en moyenne en sciences et mathématiques, et le creusement des inégalités. Je ne vais pas retranscrire ici les résultats détaillés de ces enquêtes, largement commentés par les médias, et disponibles sur internet.
Comme de nombreux parents, je m'interroge sur les raisons derrière ces contre-performances, et sur les réformes susceptibles d'en inverser la tendance. Comme beaucoup, rien ne m'exaspère plus que les responsables politiques qui attribuent l'entière responsabilité de ce terrible échec au camp d'en face.
N'étant pas un spécialiste du sujet mais désireux de comprendre les failles de l'univers scolaire dans lequel vont évoluer mes enfants, je me suis efforcé d'exercer mon jugement en ingurgitant divers écrits plus ou moins récents sur les grandes réformes des 30 dernières années dans l'éducation nationale, les débats des spécialistes des sciences de l'éducation, praticiens, journalistes et commentateurs de tout poil.
Bien évidemment, je me doutais bien avant de plonger dans ces lectures de la grande complexité du sujet (vous noterez que cette phrase reviendra probablement dans tous mes futurs billets, je ne vous apprends rien en affirmant que notre monde génère de plus en plus de complexité, et je compte bien d'ailleurs consacrer un billet à ce sujet en particulier). Je ne m'y suis pas trompé : on trouve dans le lot des commentateurs des spécialistes tout aussi crédibles identifier des causes contradictoires et prôner des solutions opposées.
Une partie de ces contradictions tient à la diversité des idéaux politiques des commentateurs : pour certains, l'égalité des chances devant le système scolaire est l'objectif suprême à atteindre, alors que pour d'autres, il faut à tout prix hausser le niveau moyen pour affronter une concurrence internationale exacerbée même si cela s'accompagne d'une segmentation des performances des élèves. Les premiers ont prôné par exemple l'instauration du collège unique alors que les seconds cherchent à tout prix à en sortir. Cette confrontation n'est que le volet éducatif de l'opposition fondamentale en politique entre deux conceptions majeures de la justice sociale, commentée dans ce billet.
Naturellement, les résultats d'un système scolaire ne peuvent se mesurer et s'apprécier qu'à l'aune des objectifs stratégiques assignés par les responsables politiques (censés représenter les préférences d'une majorité des citoyens) : transmettre un savoir au plus grand nombre ou préparer/former à exercer un métier? amener à maîtriser des connaissances ou des compétences? offrir la même éducation à tous ou trier et spécialiser les élèves en fonction de leurs performances et facilités, etc..Pour un résumé de la longue succession de réformes, ajustements et mesures diverses adoptées par l'éducation nationale depuis 1974, se reporter à cette synthèse.
Pour ma part, en m'efforçant à exercer mon jugement de non spécialiste notamment pour apprécier ce qui a fait le succès des pays ayant connu les plus fortes progressions dans les classements successifs, un point m'interpelle en particulier : le fait que même les meilleurs écoliers français en mathématiques sont en retrait par rapport à ceux des pays les plus performants (dragons asiatiques en tête : Singapour, Taïwan, Hong Kong et Corée du Sud). Cela m'amène à penser qu'une des causes principales des mauvaises performances françaises est à chercher du côté de la faible exigence des programmes et des "innovations" pédagogiques appliquées depuis 20 ans en France. un exemple concret : il y a 15ans, les vecteurs étaient enseignés en quatrième, ils sont ensuite passés à la troisième, puis à la seconde. La réforme du collège a fait passer le volume horaire d'enseignement des mathématiques en troisième à 3h30, soit moins que les 4h dévolues à l'EPS!
Cette baisse d'exigence trouvent ses origines selon moi dans l'instauration du collège unique dans les années 70, lorsque le mouvement des "pédagogistes" a estimé par exemple que pour aider les plus défavorisés, il fallait revoir les programmes de mathématiques pour se défaire des abstractions, et ainsi "donner du sens" à cette discipline ! l'idée politique derrière est une interprétation des thèses socio-constructivistes de Bourdieu selon laquelle les plus défavorisés sont discriminés par les abstractions pour lesquelles ils ne sont pas "équipés"! Le sophisme sous-jacent à cette conception du rôle politique de l'éducation pour soi-disant limiter les inégalités est qu'en baissant le niveau d'exigence générale, les résultats seraient plus homogènes et donc moins inégalitaires...le résultat plus de 30 ans après est que les inégalités explosent au contraire comme vient de le pointer une nouvelle fois la dernière étude PISA! 30 années de "pédagogisme" ont également dramatiquement abaissé le niveau des professeurs..
La confrontation entre tenants et opposants du pédagogisme est interprétée par certains comme étant une facette parmi d'autres du clivage entre modernistes (promoteurs de nouvelles méthodes pédagogiques ayant dérivé en pédagogisme) et conservateurs (qui ne reconnaissent à l'école qu'une mission de transmission des savoirs établis), mais je ne peux m'empêcher de trouver déplorable que l'institution la plus importante de la nation soit prise en otage au milieu de cette confrontation idéologique, au mépris des résultats sur le terrain : comme le rappelle l'historien Jacques Julliard dans cette interview, "Lorsque Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, démontre que le seul apprentissage efficace de la lecture est la méthode syllabique, fait-on le bilan des aberrations qui font que près d’un quart des élèves de 6e ne savent pas lire couramment ? Non. Circulez, il n’y a rien à voir !"
Je ne jette pas la pierre aux pionniers du pédagogisme -qui étaient sincèrement persuadés d'aller dans le sens du progrès- d'avoir milité pour que leurs idées soient expérimentées, mais à leurs héritiers intellectuels d'avoir, par arrogance intellectuelle refusé de prendre en compte les multiples signaux défavorables en matière de performances scolaires au fil des décennies, et de s'être accrochés aux dogmes des "sciences de l'éducation" influence soixante-huitarde. Victimes d'une expérience pédagogiste similaire à celle de la France pendant une décennie, les Québécois ont en fait le bilan (tout aussi négatif qu'en France : baisse de niveau et accroissement des inégalités) dans une étude scientifique rigoureuse et ont décidé d'abandonner le dogme sans plus d'états d'âmes.
Alors de grâce, n'attendons pas que le potentiel de générations entières de jeunes soit gâché pour abandonner une expérience qui n'a que trop duré! Note d'espoir : Philippe Meirieu, le pape des pédagogistes, a amorcé, dans une interview au Figaro, son mea culpa : "Dans mon dernier livre, Des enfants et des hommes (ESF éditeur), je plaide pour l'étude systématique de la littérature classique. C'est la culture fondamentale de l'humanité. Je n'ai pas toujours pensé comme ça, je le reconnais. Les pédagogues. dont je fais partie, ont commis des erreurs. Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j'estimais que c'était plus proche d'eux. Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord, parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle. C'est vrai que, à l'époque, dans la mouvance de Bourdieu, dans celle du marxisme, j'ai vraiment cru à certaines expériences pédagogiques. Je le répète, je me suis trompé.
Vous admettez donc que l'école actuelle paye les expériences postsoixante-huitardes ?
Possible. Il y a des gens qui se sont parfois entêtés dans des voies qui n'étaient pas les bonnes."
Les dernières enquêtes en date, PISA (réalisée par l'OCDE) et TIMSS, montrent, deux tendances inquiétantes : la chute des performances des élèves français en moyenne en sciences et mathématiques, et le creusement des inégalités. Je ne vais pas retranscrire ici les résultats détaillés de ces enquêtes, largement commentés par les médias, et disponibles sur internet.
Comme de nombreux parents, je m'interroge sur les raisons derrière ces contre-performances, et sur les réformes susceptibles d'en inverser la tendance. Comme beaucoup, rien ne m'exaspère plus que les responsables politiques qui attribuent l'entière responsabilité de ce terrible échec au camp d'en face.
N'étant pas un spécialiste du sujet mais désireux de comprendre les failles de l'univers scolaire dans lequel vont évoluer mes enfants, je me suis efforcé d'exercer mon jugement en ingurgitant divers écrits plus ou moins récents sur les grandes réformes des 30 dernières années dans l'éducation nationale, les débats des spécialistes des sciences de l'éducation, praticiens, journalistes et commentateurs de tout poil.
Bien évidemment, je me doutais bien avant de plonger dans ces lectures de la grande complexité du sujet (vous noterez que cette phrase reviendra probablement dans tous mes futurs billets, je ne vous apprends rien en affirmant que notre monde génère de plus en plus de complexité, et je compte bien d'ailleurs consacrer un billet à ce sujet en particulier). Je ne m'y suis pas trompé : on trouve dans le lot des commentateurs des spécialistes tout aussi crédibles identifier des causes contradictoires et prôner des solutions opposées.
Une partie de ces contradictions tient à la diversité des idéaux politiques des commentateurs : pour certains, l'égalité des chances devant le système scolaire est l'objectif suprême à atteindre, alors que pour d'autres, il faut à tout prix hausser le niveau moyen pour affronter une concurrence internationale exacerbée même si cela s'accompagne d'une segmentation des performances des élèves. Les premiers ont prôné par exemple l'instauration du collège unique alors que les seconds cherchent à tout prix à en sortir. Cette confrontation n'est que le volet éducatif de l'opposition fondamentale en politique entre deux conceptions majeures de la justice sociale, commentée dans ce billet.
Naturellement, les résultats d'un système scolaire ne peuvent se mesurer et s'apprécier qu'à l'aune des objectifs stratégiques assignés par les responsables politiques (censés représenter les préférences d'une majorité des citoyens) : transmettre un savoir au plus grand nombre ou préparer/former à exercer un métier? amener à maîtriser des connaissances ou des compétences? offrir la même éducation à tous ou trier et spécialiser les élèves en fonction de leurs performances et facilités, etc..Pour un résumé de la longue succession de réformes, ajustements et mesures diverses adoptées par l'éducation nationale depuis 1974, se reporter à cette synthèse.
Pour ma part, en m'efforçant à exercer mon jugement de non spécialiste notamment pour apprécier ce qui a fait le succès des pays ayant connu les plus fortes progressions dans les classements successifs, un point m'interpelle en particulier : le fait que même les meilleurs écoliers français en mathématiques sont en retrait par rapport à ceux des pays les plus performants (dragons asiatiques en tête : Singapour, Taïwan, Hong Kong et Corée du Sud). Cela m'amène à penser qu'une des causes principales des mauvaises performances françaises est à chercher du côté de la faible exigence des programmes et des "innovations" pédagogiques appliquées depuis 20 ans en France. un exemple concret : il y a 15ans, les vecteurs étaient enseignés en quatrième, ils sont ensuite passés à la troisième, puis à la seconde. La réforme du collège a fait passer le volume horaire d'enseignement des mathématiques en troisième à 3h30, soit moins que les 4h dévolues à l'EPS!
Cette baisse d'exigence trouvent ses origines selon moi dans l'instauration du collège unique dans les années 70, lorsque le mouvement des "pédagogistes" a estimé par exemple que pour aider les plus défavorisés, il fallait revoir les programmes de mathématiques pour se défaire des abstractions, et ainsi "donner du sens" à cette discipline ! l'idée politique derrière est une interprétation des thèses socio-constructivistes de Bourdieu selon laquelle les plus défavorisés sont discriminés par les abstractions pour lesquelles ils ne sont pas "équipés"! Le sophisme sous-jacent à cette conception du rôle politique de l'éducation pour soi-disant limiter les inégalités est qu'en baissant le niveau d'exigence générale, les résultats seraient plus homogènes et donc moins inégalitaires...le résultat plus de 30 ans après est que les inégalités explosent au contraire comme vient de le pointer une nouvelle fois la dernière étude PISA! 30 années de "pédagogisme" ont également dramatiquement abaissé le niveau des professeurs..
La confrontation entre tenants et opposants du pédagogisme est interprétée par certains comme étant une facette parmi d'autres du clivage entre modernistes (promoteurs de nouvelles méthodes pédagogiques ayant dérivé en pédagogisme) et conservateurs (qui ne reconnaissent à l'école qu'une mission de transmission des savoirs établis), mais je ne peux m'empêcher de trouver déplorable que l'institution la plus importante de la nation soit prise en otage au milieu de cette confrontation idéologique, au mépris des résultats sur le terrain : comme le rappelle l'historien Jacques Julliard dans cette interview, "Lorsque Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, démontre que le seul apprentissage efficace de la lecture est la méthode syllabique, fait-on le bilan des aberrations qui font que près d’un quart des élèves de 6e ne savent pas lire couramment ? Non. Circulez, il n’y a rien à voir !"
Je ne jette pas la pierre aux pionniers du pédagogisme -qui étaient sincèrement persuadés d'aller dans le sens du progrès- d'avoir milité pour que leurs idées soient expérimentées, mais à leurs héritiers intellectuels d'avoir, par arrogance intellectuelle refusé de prendre en compte les multiples signaux défavorables en matière de performances scolaires au fil des décennies, et de s'être accrochés aux dogmes des "sciences de l'éducation" influence soixante-huitarde. Victimes d'une expérience pédagogiste similaire à celle de la France pendant une décennie, les Québécois ont en fait le bilan (tout aussi négatif qu'en France : baisse de niveau et accroissement des inégalités) dans une étude scientifique rigoureuse et ont décidé d'abandonner le dogme sans plus d'états d'âmes.
Alors de grâce, n'attendons pas que le potentiel de générations entières de jeunes soit gâché pour abandonner une expérience qui n'a que trop duré! Note d'espoir : Philippe Meirieu, le pape des pédagogistes, a amorcé, dans une interview au Figaro, son mea culpa : "Dans mon dernier livre, Des enfants et des hommes (ESF éditeur), je plaide pour l'étude systématique de la littérature classique. C'est la culture fondamentale de l'humanité. Je n'ai pas toujours pensé comme ça, je le reconnais. Les pédagogues. dont je fais partie, ont commis des erreurs. Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d'emploi d'appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j'estimais que c'était plus proche d'eux. Je me suis trompé. Pour deux raisons : d'abord, parce que les élèves avaient l'impression que c'était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d'une culture essentielle. C'est vrai que, à l'époque, dans la mouvance de Bourdieu, dans celle du marxisme, j'ai vraiment cru à certaines expériences pédagogiques. Je le répète, je me suis trompé.
Vous admettez donc que l'école actuelle paye les expériences postsoixante-huitardes ?
Possible. Il y a des gens qui se sont parfois entêtés dans des voies qui n'étaient pas les bonnes."
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