samedi 10 décembre 2016

Brexit, Trump... sommes-nous entrés dans l'ère de la post-vérité?

Deux décisions démocratiques parmi les plus marquantes de la décennie, le vote du Royaume-Uni en faveur du Brexit, et l'élection de Trump, présentent une caractéristique commune: le débat démocratique qui les a précédé, a de l'avis de tous les observateurs, fait la part belle au mépris des faits, aux réactions hystériques sur les réseaux sociaux à une profusion d'intox, et à une défiance généralisée du peuple envers les élites.

Les raisons qui ont poussé les peuples britannique et américain à s'écarter des critères conventionnels de la rationalité face à des choix si importants pour leur avenir respectif ont largement été commentés, disséqués par pléthores de politologues, sociologues, philosophes, historiens, universitaires, économistes, reporters, grandes plumes journalistiques, et j'en passe. J'essaierai de synthétiser dans un billet ultérieur la profusion d'analyses déversées dans les médias et les librairies à ce propos, mais je souhaite en premier lieu aborder ici ce que nombre d'intellectuels ont convenu d'appeler la "post-vérité".

La post-vérité en politique peut se définir comme étant d'une part l'ignorance délibérée des faits par l'homme politique briguant une élection ou un quelconque vote démocratique, et d'autre part la négligence de la vérification des mêmes faits ou tout simplement leur rejet par les votants. Elle s'apparente à un miroir déformant renvoyant non l'image réelle mais celle qu'on a envie de voir. Le terme, bien qu'introduit dès 2004 par Ralph Keyes dans son livre "The Post-Thruth Era", n'a attiré l'attention des médias et du grand public qu'avec les coups de tonnerre successifs du Brexit et de l'élection de Trump, au point que le dictionnaire d'Oxford en a fait le mot de l'année 2016.

Le mécanisme sous-jacent repose sur le fait d'exciter les préjugés et les intérêts particuliers chez l'électeur, par ailleurs exaspérés par l'arrogance de l'establishment. Face à un monde extraordinairement complexe, les préjugés et les théories du complot offrent l'immense confort de servir des explications simples et prêtes à consommer et laissent donc les émotions (colère, peur, ressentiment) prendre le pas sur l'analyse raisonnée en matière de formation de l'opinion. L'échange fictif suivant illustre parfaitement ce mécanisme insidieux.

Pourtant, comme le rappelle Michel Volle "On croyait au XIXe siècle qu'il suffirait de généraliser l'accès aux études pour que la démocratie s'épanouisse : cela n'a pas empêché l'Allemagne de céder dans les années 1930 aux séductions que l'on sait, alors qu'elle était un des pays les plus éduqués" 

Les réseaux sociaux ont une part de responsabilité substantielle en cela qu'ils colportent toutes sortes de rumeurs, de peurs et de mensonges. Comme l'a très bien dit Hubert Védrine "Il s’agit juste d’un café du commerce global. Sauf qu’autrefois dans les troquets du village, les gens connaissaient l’idiot et l’alcoolique du coin ! Là personne ne sait qui est qui et cela permet de véhiculer les pires horreurs, la pire désinformation, d’autant plus que les moteurs de recherche sont incapables de faire le tri".

A y regarder de plus près cependant, je ne pense pas que l'entrée dans l'ère de post-vérité signifie nécessairement et définitivement que tout recours à la raison en démocratie pour s'accorder sur les faits les plus basiques ne soit plus possible : je pense qu'il traduit d'abord une réaction épidermique des masses contre, non pas la vérité en elle-même, mais les élites politiques et médiatiques qui n'ont fait qu'asséner leurs soit-disant vérités au mépris du vécu des peuples.

Pour finir sur une note positive, il faut espérer pour le salut de la démocratie que le souffle de l'émotion retombe (peut-être sera-t-il aidé en cela par la déception que ne manqueront pas de provoquer les nouveaux leaders arrivés au pouvoir sur un lit de mensonges), et que les élites tirent toutes les leçons qui s'imposent quand à leur responsabilité dans cette série de déconvenues historiques.

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