samedi 11 février 2017

Le lien entre la crise de l'Occident et le mythe du progrès

Une vision communément partagée de l'histoire de l'humanité est celle d'une longue, fastidieuse, parfois chaotique, mais toujours persistante marche vers le progrès, entendu comme une progression du champ de la liberté et des droits "naturels" humains, progression qui à la fois s'appuie sur et alimente le progrès matériel, économique, et intellectuel.

L'histoire des civilisations montre en effet que comme pour les êtres vivants, la seule certitude sur leur destin est qu'elles ont une fin. Comme les cellules vivantes, leur décomposition alimente le cycle de la vie en passant le témoin à de nouvelles civilisations, dont l'organisme sera d'autant plus fort qu'il se sera alimenté avec l'énergie vitale qu'est l'idée de progrès.

L'occident se voit bien ainsi : en réceptacle du legs civilisationnel de l'humanité, dont il a repris avec vigueur le témoin du progrès.

Son représentant le plus éminent depuis un siècle, les USA, a gravé au cœur de sa capitale politique, sous le dôme de son bâtiment public le plus emblématique, le palais du Congrès, une fresque monumentale dépeignant une série de figures, représentant chacune une grande civilisation, et son apport le plus fondamental à l'humanité.

Cette fresque magnifique du Jefferson Building (Librairie du Congrès) commence avec l'Egypte (l'écriture), puis la Judée (le monothéisme), la Grèce (la philosophie), l'Islam (la physique), l'Italie (les beaux arts), L'Allemagne (l'imprimerie), l'Espagne (Les découvertes géographiques), l'Angleterre (la littérature), France (l'émancipation), et elle culmine avec l'Amérique, créditée de la Science.

Selon cette représentation mythologique que se fait l'Amérique d'elle-même, le pays se place à l'avant-garde de la grande marche humaine vers le progrès. Héritière reconnaissante des civilisations passées, l'Amérique se voit un rôle exceptionnel car elle croit par le biais de ce mythe que ce qu'accomplit le peuple américain sur la marche du progrès doit rejaillir sur l'humanité entière.

Aussi, la crise civilisationnelle que traverse l'occident, et en particulier les USA, tient à ce que les nations occidentales ne perçoivent plus le mouvement sur le chemin du progrès. Une large part des populations perçoit même un mouvement inverse à celui perçu par les élites.

Face au mythe du progrès qui s'étiole dangereusement, des profiteurs politiques tels Donald Trump (ou plutôt son inspirateur Stephen Bannon), Nigel Farage, Marine Le Pen, Vladimir Poutine, ont su formuler un contre-mythe mobilisateur pour les masses désamparées. Un mythe de pureté inspiré des réactionnaires russes déboussolés par l'effondrement du fer de lance (l'URSS) de leur propre mythe civilisationnel (l'émancipation par l'égalitarisme communiste) : celui des vrais patriotes ancrés dans leur terroir, qui ont su préserver l'âme de leur nation, qui endurent la souffrance de multiples crises, souffrance infligée par les élites cosmopolites corrompues et inféodées au choix, aux forces occultes de la finance, ou à un totalitarisme étranger.

Ce contre-Mythe s'oppose en tout point à celui du progrès qui sous-tend la marche de l'occident depuis les révolutions anglaise et française, en passant par la guerre d'indépendance américaine et la seconde guerre mondiale. A l'optimisme de l'avènement d'un futur meilleur, il oppose la nostalgie d'un passé qui fut. A l'ouverture à la diversité et sa richesse, il oppose l'élévation de murs et le bannissement.

Le combat essentiel que mène l'occident contre un autre mythe réactionnaire, le fondamentalisme islamiste, est certes déterminant pour son destin, mais moins fondamental à mon avis que celui qui le déchire en son sein : le combat entre le mythe progressiste et le contre-mythe réactionnaire. Car comme Tocqueville l'avait très justement pressenti : une démocratie qui n'est plus inspirée par un grand dessein est condamnée à sombrer dans la médiocrité nihiliste des intérêts particuliers.

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