Crépuscule de l'Occident ? les échos de l'Histoire

L'Histoire se répète-t-elle ? Telle une mélodie entêtante, le cycle d'émergence, d'apogée, de stagnation et d'effondrement des empires et des civilisations semble rythmer le récit de l'Humanité. De la déliquescence de l'Egypte pharaonique à la fin de l'empire ottoman, en passant par la chute de Rome ou l'effondrement de l'empire Maya, les exemples abondent, révélant des leçons incontournables pour notre temps, pour peu que nous tenions à éviter de reproduire les erreurs du passé.

Les Cycles Historiques : d’Ibn Khaldoun à Toynbee

Ibn Khaldoun, dans sa Muqaddima (Prolégomènes), forge le concept de ‘Asabiyya comme étant ce sentiment d'appartenance collective et de cohésion sociale qui permet à une communauté de prospérer. Ce sentiment, s'il est souvent associé aux masses, est aussi nourri par les élites, qui fédèrent et donnent direction au groupe. La thèse novatrice d'Ibn Khaldoun est que les empires émergent grâce à cette solidarité sociale forte mais qu'ils finissent par s'affaiblir précisément en raison de la décadence de leurs valeurs collectives. 

Arnold Toynbee, historien britannique majeur du XXème siècle, a pour sa part a étudié l'ascension et la chute de 21 civilisations. Dans son Étude des Civilisations, il trace des lignes parallèles, soutenant que la réponse des sociétés face aux défis détermine leur survie et il postule que la créativité face à l’adversité est un moteur central de l’évolution des sociétés.

Ces deux penseurs, bien qu'éloignés par le temps et l'espace, joignent leurs voix pour exprimer un constat étayé : les civilisations ne sont pas de simples entités figées, mais des organismes en constante évolution, soumis aux cycles de prospérité et de déclin. Elle se nourrissent de l'énergie de leur peuple, d'une ‘asabiyya vigoureuse, de leur capacité à s'adapter et à évoluer face aux défis.

Illustrations

Prenons en exemple l’Empire romain, qui illustre avec brio ce cycle : son émergence fut marquée par l’unification de la Méditerranée; son développement s’appuie sur une ingénierie remarquable et une culture florissante. Mais la décadence a fini par gagner du terrain avec des luttes internes pour le pouvoir, une corruption endémique et la perte de ‘Asabiyya au sein de la population. Ultimement, l'inertie,  la corruption et l'incapacité à répondre à des menaces internes et externes (les invasions barbares notamment) ont conduit Rome sa chute, laissant derrière elle des siècles de désordre.

De même, l'Empire ottoman, après une période d'expansion fulgurante, a connu un déclin paralysé par des guerres constantes et des révoltes internes. Cet effondrement, bien que différent dans le contexte et la forme, démontre également la fragilité des empires face à la déperdition de leur dynamisme social.

La civilisation Maya,  à son apogée,  était une puissance culturelle et architecturale impressionnante.  Cependant,  la dégradation environnementale,  la surpopulation et  les guerres internes  ont achevé de la déstabiliser, sans que ses élites ne parviennent à insuffler les adaptations nécessaires.

Le rôle des élites

C'est d'abord grâce à leur vision, leur innovation et leur capacité à fédérer que les élites permettent à une société de s'unifier, de se développer et d'atteindre son âge d'or. Ainsi, l'expansion de l'Empire romain ou de l'Empire britannique a été portée par des dirigeants visionnaires, capables de relever les défis de leur époque, comme l'a théorisé Arnold Toynbee dans son ouvrage "Étude de l'histoire".

Mais lorsque ces mêmes élites se divisent, s'enferment dans leurs privilèges et deviennent incapables de se réinventer, c'est le début de la fin. À l'image de l'aristocratie française à la veille de la Révolution, l'inertie et l'aveuglement des classes dirigeantes précipitent l'effondrement de leur propre système. C'est le cas aujourd'hui des sociétés occidentales, rongées par les populismes.

Parallèles avec l'Occident

L'Occident a connu une ascension fulgurante au cours des derniers siècles. La Renaissance, la révolution scientifique et l'essor du capitalisme ont propulsé l'Europe au sommet du monde. Mais les signes de "fatigue" sont  de plus en plus apparents. L'inégale répartition des richesses, la montée du populismela perte de confiance dans les institutions, les crises écologiques et la montée du nationalisme mettent la cohésion sociale de l'Occident à rude épreuve.

Le parallèle est troublant. La 'asabiyya' occidentale, autrefois si puissante car cimentée par des valeurs à vocation universaliste, semble s'étioler. Les défis auxquels les pays Occidentaux sont confrontés, du changement climatique à la fracture sociale, sont de nature inédite, mettant en question la résilience de leurs systèmes politiques et économiques. La montée des populismes en Europe et aux États-Unis est un symptôme alarmant de cette dégradation. Ces mouvements se nourrissent de la frustration, de la  peur et de l'exclusion, des symptômes d'un modèle qui ne fonctionne plus pour toute la population.

Leur montée témoigne d'un malaise profond, d'une crise d'identité similaire à celle vécue par de nombreuses civilisations en déclin. Ce retour aux instincts, souvent caractérisé par le rejet des élites et des institutions traditionnelles, évoque les premiers signes de fissures dans la cohésion sociale, condition préalable à un effondrement éventuel.

Les crises économiques, les inégalités croissantes et le sentiment d’insécurité alimentent ce populisme. Comme l’ont observé tant Ibn Khaldoun que Toynbee, les sociétés qui cessent de s’adapter aux nouvelles réalités et de répondre aux aspirations légitimes de leurs citoyens s’enferment dans un cercle vicieux, où la stagnation précède inévitablement l’effondrement.

Les leaders populistes, en cultivant la division et en rejetant les réformes, multiplient les risques d'accélérer le déclin. Plutôt que de relever les défis majeurs de notre temps, ils alimentent les peurs et les ressentiments, empêchant toute réinvention constructive. C'est un mécanisme que l'on a pu observer dans la chute de l'Empire ottoman ou de l'URSS,

Point de bifurcation

L’Histoire montre que les civilisations qui durablement prospèrent sont celles qui répondent à leurs crises en faisant preuve de créativité et en renforçant leur cohésion sociale. L’Occident est à un tournant. Fera-t-il appel à l’esprit de solidarité qui pourrait, comme autrefois, donner naissance à une renaissance des valeurs et des institutions, ou bien s’acharnera-t-il à s’enfermer dans des discours clivants qui ne feront qu’accélérer son déclin ?

Les cycles d’émergence, de développement, de stagnation et d’effondrement de l’histoire ne sont pas de simples abstractions théoriques ; ils sont des avertissements. Les sociétés doivent apprendre non seulement des erreurs des civilisations passées, mais également de leur capacité à se réinventer. 

Le défi du XXIe siècle réside dans notre aptitude à tisser à nouveau le lien fragile de la cohésion sociale, fondement d’une civilisation pérenne. Seule une classe dirigeante capable de vision, de courage et d'unité peut conjurer le sort de tant de glorieuses civilisations passées. 

l'Occident saura-t-il trouver en son sein les forces vives capables de le régénérer ?

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Références : 

Ibn Khaldoun - Muqaddima : Introduction à l'histoire universelle, aborde notamment le concept de ‘Asabiyya et ses implications sur la cohésion sociale. Arnold Toynbee - A Study of History (Étude des Civilisations), 12 volumes (1934-1961), où il analyse les cycles des civilisations en fonction de leur capacité à répondre aux nouveaux défis.

Peter Turchin - Secular Cycles (2009), qui explore les cycles socio-économiques et politiques dans l'histoire des empires, reliant les idées de Toynbee à des modèles mathématiques. William H. McNeill - The Rise of the West: A History of the Human Community (1963), qui examine les dynamiques entre les civilisations et les forces sociales et politiques mobilisées par les élites. Joseph Tainter - The Collapse of Complex Societies (1988), qui traite des raisons derrière l'effondrement des sociétés complexes, renforçant l'importance des décisions élitistes dans ces processus.

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