La lutte perpétuelle pour la domination : un leitmotiv de l'histoire de l'Humanité

Depuis l'aube de l'Humanité, les groupes humains ont été mus par une quête incessante : celle de la domination. Que ce soit au sein d'un petit groupe tribal ou d'un empire tentaculaire, la recherche du pouvoir, du contrôle et de la suprématie a modelé les relations entre les sociétés et façonné le cours de l'Histoire. Cette constante, omniprésente dans toutes les époques et toutes les cultures, nous invite à une réflexion profonde sur les mécanismes qui gouvernent les relations intra et intergroupes et les motivations profondes qui les sous-tendent.

Des premières sociétés à l'Histoire écrite : la compétition pour la survie, la domination en germe

L'Histoire de l'Humanité, dans sa préhistoire comme dans ses écrits, est une narration ininterrompue de luttes pour la domination.  Les premiers groupes humains, nomades et dépendants de la chasse et de la cueillette, étaient en compétition pour les ressources rares et le contrôle des territoires de chasse. Les groupes les plus organisés dominaient les autres, s'assurant ainsi une meilleure chance de survie. La domination s'est souvent manifestée par des alliances formées pour faire face à des adversaires communs, entraînant des relations complexes entre groupes et classes.

Les études paléontologiques et archéologiques nous éclairent sur cette lutte ancestrale. Les traces de violence physique retrouvées sur les ossements humains datant du Paléolithique, les armes rudimentaires découvertes sur les sites de fouilles et les schémas de migration des groupes témoignent de la violence inhérente aux relations intergroupes. La compétition entre les différentes espèces du genre Homo, comme l'Homo neanderthalensis et l'Homo sapiens, souligne que la domination n'est pas un phénomène propre à l'espèce humaine moderne, mais un élément fondamental de l'histoire évolutive. Nos ancêtres les plus lointains n'ont donc pas été épargnés par cette pulsion irrépressible à dominer l'autre.

L'émergence de l'agriculture, il y a environ 10 000 ans, a marqué un tournant majeur. La sédentarisation, la concentration de populations et l'accumulation de ressources ont engendré une intensification de la compétition. Les villages, puis les villes et les États, ont vu le jour, chacun cherchant à dominer les autres pour accéder aux terres fertiles, aux ressources naturelles et au contrôle des routes commerciales.

L'émergence des États et des Empires : la domination institutionnalisée

L'Histoire écrite de l'Humanité est marquée par des luttes acharnées pour la suprématie entre civilisations. L'Égypte ancienne a connu une hiérarchie dominée par les pharaons, qui ont construit des empires en cherchant à contrôler les terres riveraines du Nil, jusqu'en Nubie. Les Babyloniens, quant à eux, ont établi des codes juridiques et des systèmes administratifs qui leur ont permis de régner sur des régions étendues de la Mésopotamie.

Les Achéménides, un empire Perse, ont su unifier diverses cultures sous leur bannière tout en usant de stratégies diplomatiques pour maintenir leur domination. Similairement, les Assyriens ont imposé leur pouvoir par la force, créant une administration centralisée efficace qui facilitait le contrôle de territoires étendus.

En Asie, les empires Chinois et Japonais ont lutté pour la suprématie régionale, tandis que les civilisations du sous-continent indien ont su également créer de vastes empires comme celui des Maurya et des Gupta, imprégnés d'innovations culturelles et religieuses.

L’Amérique précolombienne présente elle aussi des cas emblématiques. Les Mayas et les Incas ont bâti des sociétés sophistiquées, respectivement centrées sur des connivences religieuses et politiques, tandis que les indigènes d'Amérique ont résisté à l'invasion européenne par la formation de coalitions.

En Occident, les Grecs ont connu un âge d'or par leur esprit conquérant et leurs guerres entre cités. Ils ont posé les bases de la pensée occidentale tout en étant confrontés aux avancées militaires des Romains, qui ont su forger un empire tentaculaire, réunissant mille cultures dans un même espace.

L’expansion Arabo-Musulmane au Moyen Âge a ensuite créé des dynamiques nouvelles, unissant des peuples sous une même religion tout en réalisant une impressionnante synthèse culturelle. Les puissances européennes, notamment les Français, les Anglais et par la suite les Américains, ont manifesté une volonté de domination, principalement à travers le colonialisme qui culmine au XIXème siècle. Ces luttes pour la domination ne sont pas seulement le reflet de rivalités nationales, mais aussi de classes et de religions s’affrontant pour le contrôle des ressources.

Chaque civilisation a développé sa propre stratégie pour asseoir son pouvoir : des conquêtes militaires brutales aux alliances stratégiques, des échanges culturels et commerciaux aux politiques d'assimilation et de suppression des identités locales. L'empire romain, par exemple, a dominé le bassin méditerranéen pendant des siècles grâce à sa puissante armée, son système juridique et sa capacité à assimiler les cultures conquises. L'empire arabe musulman a quant à lui propagé sa culture et sa religion à travers le monde, en partie grâce à la diffusion des connaissances scientifiques et des échanges commerciaux.

La religion et la culture comme outils de domination

La religion a souvent servi d'idéologie pour légitimer la domination. Les grands empires ont souvent utilisé la religion pour justifier leurs conquêtes, pour créer un sentiment d'unité et pour imposer leur volonté aux populations soumises. Les religions monothéistes, en particulier, ont été utilisées pour justifier des guerres saintes, des persécutions et des conversions forcées. L'Histoire est remplie d'exemples de conflits religieux, comme les croisades chrétiennes, les guerres entre hindous et musulmans en Inde, ou les guerres civiles entre catholiques et protestants en Europe.

La culture joue également un rôle dans la domination. Les groupes dominants ont souvent cherché à imposer leur langue, leur art, leur mode de vie et leurs valeurs aux populations soumises. La romanisation de l'Europe, la diffusion de la culture française en Afrique, et l'influence américaine sur le monde sont des exemples concrets de cette domination culturelle.

Compétition/domination et coopération/coexistence : une dialectique permanente

Il serait erroné de ne voir que la domination dans l'histoire humaine; les luttes pour la domination ne doivent pas occulter la réalité de la coopération. Les groupes humains ont souvent coopéré pour la défense commune, pour le commerce, pour l'échange de connaissances et pour la résolution des conflits.

L'anthropologie a démontré que la coopération est souvent conditionnée par la perception d'une menace commune. Les tribus nomades se sont unies pour faire face à des ennemis communs, les États ont formé des alliances pour se protéger des invasions, et les empires ont construit des réseaux commerciaux pour assurer leur prospérité.

Les abondantes archives historiques démontrent que les empires prospéraient non seulement par la conquête mais aussi par des politiques d’intégration et d'assimilation. Par exemple, l'Empire romain avait la capacité d'incorporer des cultures variées tout en exerçant sa domination. Les mariages mixtes, les échanges intellectuels et les échanges économiques ont bridés les conflits tout en cimentant la mainmise romaine.

Les renversements de rôles : domination et rébellion

L'Histoire humaine est également pavée de renversements spectaculaires des rôles de dominants et dominés. Les empires et civilisations, jadis maîtres incontestés, se sont souvent retrouvés à la merci de ceux qu'ils avaient dominés. Par exemple, alors que l'Empire romain s'écroulait, de nouvelles forces, comme les Francs et les autres tribus germaniques, ont émergé, retournant la situation à leur avantage.

Dans le cadre du colonialisme, la dynamique entre Musulmans et Européens s'est également inversée. Les dominations successives, d’un empire à l’autre, ont engendré des ressentiments qui ont perduré. Les anciens dominés, une fois la tête haute, ont souvent oublié les pratiques abusives qu'ils avaient autrefois pratiquées lorsqu'ils étaient en position de force.

Cette continuité dans les cycles de domination révèle une leçon essentielle : la mémoire historique est souvent sélective, et les revendications de justice élevées par les nouveaux dominés cachent quelquefois des comportements similaires lorsqu'ils ont occupé une position de pouvoir.

Luttes intra-sociétales : des hiérarchies internes

Les luttes pour la domination ne se limitent pas simplement aux rapports entre groupes externes. À l’intérieur même de chaque société, des hiérarchies existent et se manifestent sous différentes formes. Les dynamiques sociales comprennent des luttes de pouvoir parmi divers groupes : classes sociales, groupes ethniques, et même dans des contextes de genre.

Dans les sociétés contemporaines, on observe que les conflits ne surgissent pas uniquement en cas de violence physique. Des luttes politiques, économiques et culturelles sont constantes, souvent masquées par des apparences de paix. Les tensions entre les classes, les luttes pour l'égalité des droits ou les conflits religieux internes sont autant d'exemples montrant que la quête de prééminence est bien ancrée, même dans des sociétés qui se disent pacifiées.

Les mouvements sociaux actuels illustrent bien cette dynamique. Les revendications en matière de droits civils, d'égalité de genre et de justice économique révèlent un terrain de lutte où les hiérarchies internes sont continuellement défiées.

Conclusion

À l'aune de l’Histoire humaine, les luttes pour la domination constituent un phénomène fondamental et récurrent. Que ce soit entre groupes, nations ou à l’intérieur même d’une société, ces luttes façonnent constamment notre réalité. Comprendre cette dynamique historique nous permet d'appréhender les défis contemporains. La coopération, bien qu'essentielle, se déploie souvent dans un contexte de rivalité, soulignant la complexité des relations humaines.

L'Histoire est un miroir qui nous permet de nous interroger sur nos propres actions, sur les motivations qui nous animent et sur les dangers de la domination. Elle nous rappelle que l'Humanité est capable de grandes cruautés, mais aussi de grandes solidarités.  Il nous appartient de choisir quelle voie nous voulons emprunter, en se rappelant que la voie de la domination et de la révolte demeure toujours à nos portes.

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Références

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